L’écoblanchiment ou comment les fabricants de tabac surfent sur la vague du développement durable pour accroître leurs profits et redorer leur blason
L’industrie du tabac surfe sur la vague de l’écoblanchiment pour redorer son image et influencer les décideurs politiques sans abandonner ses pratiques néfastes pour l’environnement.
L’industrie du tabac a du mal à se défaire de son image ternie. Défendre l’impact dévastateur du tabac, qui cause plus de 8 millions de décès chaque année, serait peine perdue. C’est pourquoi les fabricants de tabac sont constamment en quête de nouvelles idées pour redorer leur image auprès du public.
L’une d’elle est l’écoblanchiment. Il s’agit là d’une tactique utilisée par les industries controversées dans le monde pour instiller la croyance du caractère durable de leurs produits et de leurs pratiques qui portent en réalité gravement atteinte à l’environnement. La déforestation, l’utilisation massive de produits chimiques dans les cultures de tabac et la quantité importante de déchets générés au cours de la fabrication ne sont que quelques-unes des nombreuses pratiques dévastatrices que les fabricants de tabac cherchent à dissimuler. L’industrie du tabac est devenue adepte de l’écoblanchiment au début des années 2000 et n’a cessé d’exploiter le filon de l’intérêt du public pour le développement durable depuis lors. En parallèle, elle continue malgré tout de recourir à des pratiques néfastes pour l’environnement et d’en tirer profit.
Des chercheurs de STOP ont récemment publié leurs résultats de recherche sur la façon dont s’y prennent exactement les fabricants de tabac pour duper les consommateurs et les gouvernements. Ils ont observé un recours courant aux mêmes tactiques dans toute l’industrie.
Les fabricants de tabac utilisent la « responsabilité sociale des entreprises » (RSE) et profitent de l’absence de réglementations environnementales internationales pour resserrer leur emprise sur les pays à revenu faible ou intermédiaire.
Lorsque les économies en développement ne sont pas en mesure de financer entièrement leur propre reboisement ou leur riposte aux catastrophes naturelles, les fabricants de tabac entrent en jeu et proposent de l’argent. L’acceptation de ces dons par les gouvernements contribue à crédibiliser l’industrie du tabac et à accroître son influence.
Les activités de RSE offrent en effet un accès convoité aux gouvernements. BAT Bangladesh a eu recours à des projets de RSE axés sur le développement durable pour conclure un partenariat avec le Département national de vulgarisation agricole au sein du ministère de l’Agriculture. Cette contribution ne fait qu’accroître l’influence déjà bien assise de l’industrie du tabac au sein du gouvernement du Bangladesh et prépare le terrain à l’ingérence durable de l’industrie dans l’élaboration des politiques.
Autre exemple : Imperial Tobacco (devenue Imperial Brands) a été la source de financement principale d’un projet d’ONG de développement durable pour le gouvernement du Mozambique de 2009 à 2014. Dans ce pays enregistrant un revenu national brut 3116 % inférieur en 2016 aux revenus combinés des six plus grands fabricants de tabac, l’influence financière démesurée de l’industrie est telle que les projets de développement durable constituent un point d’accès abordable aux gouvernements.
Cet accès est l’objectif ultime de l’industrie du tabac, car côtoyer les décideurs permet à l’industrie d’influencer les politiques de santé et de lutte antitabac en leur faveur sur le plan financier, au détriment de la santé publique et du bien-être social.
L’absence de normes environnementales internationales permet aux tout-puissants fabricants de tabac de dresser les pays à revenu faible ou intermédiaire les uns contre les autres. Lorsqu’un pays propose d’adopter une législation environnementale, les fabricants de tabac peuvent y cesser leurs activités et s’installer dans d’autres pays appliquant des règles plus souples, afin de pouvoir continuer à se livrer à leurs pratiques scandaleuses. C’est précisément ce qui s’est produit en 2013 avec la fermeture d’une usine de BAT en Ouganda et sa délocalisation au Kenya, face à la menace de l’adoption d’une réglementation sur la pollution de l’air.
Les fabricants de tabac cherchent à gagner en légitimité en obtenant la reconnaissance des organisations de développement durable.
Lorsque les sociétés productrices de tabac peuvent se présenter, sur n’importe quel front, comme dignes de confiance et socialement responsables, elles se rapprochent un peu plus d’un siège à la table de l’élaboration des politiques où elles peuvent plaider en faveur de mesures préférentielles. Même si l’ingérence de l’industrie dans la lutte antitabac et la politique de santé est interdite au titre de la Convention-cadre pour la lutte antitabac, les fabricants de tabac sont connus pour chercher à s’engouffrer dans les failles qui leur permettent de travailler avec les gouvernements et les décideurs. Les initiatives de développement durable leur offrent la parfaite occasion de le faire.
Chacune des quatre plus grandes multinationales du tabac (British American Tobacco, Philip Morris International, Japan Tobacco International et Imperial Brands) se targuent de la reconnaissance dont elles jouissent de la part d’organisations œuvrant dans le domaine du développement durable, telles que Carbon Disclosure Project (CDP). Toutefois, elles n’hésitent pas à s’en détourner dès que ces organisations leur rendent des résultats d’évaluation médiocres. Par exemple, lorsque BAT, JTI et Imperial ont reçu de mauvaises notes en matière de divulgation et d’impact en 2017, elles se sont toutes les trois retirées des rapports CDP Forestry.
Les fabricants de tabac écrivent leurs propres règles de déclaration et de fixation d’objectifs.
En l’absence d’exigences de divulgation ou de formats de rapport normalisés, les fabricants de tabac sont libres de partager uniquement les données de durabilité qui les présentent sous leur meilleur jour et de cacher le reste. Il n’y a en effet pas de mesures et critères normalisés pour les données dont les fabricants rendent compte et ceux-ci créent même les leurs. Il est donc difficile pour les chercheurs et les évaluateurs externes de suivre les progrès au fil du temps ou d’effectuer des comparaisons entre les entreprises.
Enfin, ces entreprises sont également libres de fixer leurs propres objectifs de développement durable. Lorsqu’un objectif n’est pas atteint, l’entreprise peut simplement choisir de ne pas en rendre compte et même de l’abandonner à l’avenir. Malgré le dépassement de son objectif mondial d’utilisation de produits chimiques par hectare, BAT n’a pas été tenu de s’en expliquer. BAT a annoncé qu’il « n’y aurait plus d’objectif moyen mondial » et a cessé de rendre compte de cette mesure.
En savoir plus
De plus amples informations sur l’écoblanchiment de l’industrie du tabac sont disponibles sur le site Internet Tobacco Tactics, notre ressource en ligne récemment remaniée, qui expose et explique les pratiques de l’industrie du tabac ainsi que les mesures que les gouvernements peuvent prendre pour protéger leurs politiques et leurs citoyens contre les agissements insidieux de l’industrie du tabac. Les défenseurs, chercheurs, gouvernements et citoyens ont déjà dénoncé les dangers incontestables des produits de l’industrie du tabac pour la santé ; il est temps d’en faire de même pour l’impact dévastateur de l’industrie sur l’environnement.
Il est temps d’inverser les règles du jeu et de tenir l’industrie du tabac pour responsable.